La région
naturelle de la Fagne est caractérisée par des affleurements
schisto-psammitiques émanant d’assises du Famennien et du Frasnien.
La Fagne de Chimay est implantée à la limite
nord-ouest du Domaine médio-européen, dans le district mosan pour la carte des
territoires phytogéographiques de Belgique.
Pour d’aucuns (GEHU et GAHURANYI), l’absence
d’élément médio-européen par contre se justifie par la nature des sols acides
et très pauvres en calcium qui favorise la pénétration d’éléments atlantiques.
Pour d’autres (DELVAUX et GALOUX), il s’agit du
secteur de la Fagne atlantique.
Considérant que les parties les plus occidentales de la Fagne, de la
Calestienne et de l’Ardenne font partie du Domaine atlantique.
L’étymologie de l’appellation
« Fagne » est pour le moins sujette à controverses.
Le document le plus ancien citant son nom,
« Fania » est l’acte de donation de Dagobert à Saint Landelin en 640
pour fonder l’abbaye de Wallers.
Du XIV au XVIII ième siècle, elle
est désignée par le mot «Faigne ».
La plupart y voient encore un mot dérivant du Fagus latin ou de fagina
qui désigne la faîne. De fait, les
Romains qui envahirent notre pays par l’Ouest (venant de France) se trouvèrent
confronté à des forêts impénétrables
qu’ils baptisèrent « Silva Carbonaria » en référence aux
pratiques des habitants qui y fabriquaient intensivement le charbon de
bois. Et comme l’essence dominante était
le Hêtre…Largement déboisée pour couvrir ce type d’activité, l’imposant massif
forestier rélictuel aurait été dénommé « Silva fania ». Mais tous les étymologistes ne sont pas
d’accord sur cette racine, loin s’en faut…Pour d’autre, le mot viendrait de
« fangio, fanga, fangus »
qui désignent un sol humide, marécageux. GALOUX en 1937 accrédite cette théorie
comme la plus admissible en raison de l’écologie de ce massif forestier,
couvert de marais et de petites rivières encaissées. On ne peut cependant comparer sa situation à
celle rencontrée dans les Hautes Fagnes, correspondant assurément mieux encore à
la définition des racines latines.
Les forêts du Sud du Hainaut sont restées
relativement à l’écart des zones d’implantation denses de l’époque romaine,
bien que des industries du bois et du fer semblent devoir être associées avec
la région depuis cette époque (forge à Virelles notamment).
A l’époque franque, la Fagne reste encore une
vaste région assez sauvage à l’écart des « villae » les plus proches : Salles, Bailièvres,
Imbrechies, Monceau, Robechies, Seloignes,….
Les dynasties franques, mérovingiennes et
carolingiennes reprirent le système déjà mis en place par le Bas-Empire, à
savoir la mise en réserves seigneuriales des Forêts pour leur permettre
d’assouvir leurs passions pour la chasse.
Petit à petit, elles furent grevées de droits d’usage au bénéfice des
manants jusqu’à ce que, devant le recul du gibier face à la pression
« permanente » du petit peuple en forêt, soit prise une
réglementation sévère dont l’afforestatio,
acte qui excluait tout usage dans les cantons mis en défens.
Le Moyen-Age vit le développement de Chimay,
devenue centre agricole et métallurgique important, qui obtient en 1247 de
Marguerite de Hainaut sa charte de liberté, avec en guise d’aisements, des bois
dans la Fagne. Le développement de la
métallurgique et de son combustible : le charbon de bois impliqua
directement une surexploitation forestière à des fins commerciales et
indirectement des abus d’usage commun par une population excessive.
La vacance de certaines terres suite à la
destruction des Abbayes propriétaires, a entraîné leur annexion par d’autres
propriétaires de la région comme par exemple le Chapitre de Sainte Monégonde
dès le XI siècle. Vers 1336, la forêt de
la Fagne est recensée pour une contenance de 1.880 muids.
Puis, de plus en plus incapables de faire
valoir leurs domaines – incluant forêts et terres – par la main d’œuvre
servile, les seigneurs commencèrent à pratiquer l’acensement : la
concession perpétuelle de certaines terres incultes contre un loyer
proportionnel à la récolte. La Fagne fut
relativement épargnée vis-à-vis de ce mouvement. Même si dès 1400, le seigneur de Chimay de
l’époque, face à la grogne du peuple, dut concéder de nombreux aisements
complémentaires sous forme d’importantes portions de forêts. La question s’est posée de savoir s’il
s’agissait de concession en propriété ou en simple jouissance et ce jusqu’au
XIXième siècle.
Le rachat des terres par Jean de Croy au Comte
de Hainaut coïncide avec un nouvel essor de la métallurgie dans la région
chimacienne. L’installation de forges,
d’étangs réservoirs et de la population nécessaire à les faire tourner, amena
un nécessaire défrichement des terres pour les alimenter.
S’ensuivirent des guerres (fin du XVI)
entrecoupées de périodes de maladies (peste) qui amenèrent cycliquement des
régressions de population et partant de leurs activités notamment
métallurgiques.
La reprise ne se fit sentir qu’au XVII, alors
que la principauté compta jusqu’à 16
fourneaux et 22 forges sans compter les
tanneries. La quantité de bois
nécessaire pour alimenter cette industrie s’avérait déjà exceptionnelles au
point que de nouveaux litiges naquirent entre le Prince et les manants chargés
de l’exploitation. Plusieurs jugements
durent être rendus dont une sentence de la Cour de Mons qui attribuait aux
communes de Chimay, Robechies et Salles, 1 982 bonniers pour le tout.
Face à toutes ces vicissitudes les archiducs
Albert et Isabelle tentèrent bien de prendre des mesures pour limiter le nombre
de forges et même instaurer un service forestier censé réduire la
surexploitation industrielle. De
nouvelles épidémies de peste dès 1630 enrayèrent « naturellement » le
phénomène.
Les guerres déclenchées par Louis XIV amenèrent
une nouvelle ponction des forêts alors même que celui-ci avait décrété en 1687,
un raccourcissement de la révolution forestière de 160 à 80 ans et
l’instauration du quart en réserve pour laisser vieillir la futaie. A l’époque la consommation de bois reste
importante, un fourneau consommait 20 000 stères par an, une forge : 10
000.
La période autrichienne qui s’en suit n’est pas
franchement propice à la reconstitution de ma forêt, même si un règlement pour
les bois et les mines de la terre de Chimay est rédigé. De nombreuses interprétations contradictoires
amèneront la Cour Souveraine de Mons à intervenir à de multiples reprises pour
finir par consacrer que le mayeur et les échevins de Chimay ont la régie et
l’administration des bois communaux. Une
ordonnance de 1754 abaisse de 60 à 30 ans la révolution du taillis, les futaies
se transformant petit à petit en taillis sous futaie. La révolution du taillis
finira par être abaissée à 16 ans.
La Fagne de Chimay
Reliquat probable de la ‘Fagna Silva’ largement
exploitée et essartée à l’époque romaine, elle pourrait être la réserve boisée
du seigneur de la ‘villa’ de Salles de l’époque franque…Chasse pratiquée par le
seigneur et usages exercés par les manants (combustible, bois d’œuvre, compléments
alimentaires pour le bétail) grevaient largement l’espace boisé.
Elle fut ensuite recueillie au XIX ème siècle
par le Chapitre de Sainte Monégonde par donation d’un certain comte Erebold
pour finir au nombre des possessions de la seigneurie de Chimay inféodée au comté de Hainaut, ce
qui la préservera relativement du morcellement…
En 1412, le domaine est divisé pour raisons
successorales, et la Fagne ainsi que les 9 villes du sart de Chimay (‘les neufs
villes de Chimay’) passent, après procès, au comte du Hainaut, puis seront
rachetés par Jean de Croÿ en 1445 reconstituant la seigneurie de 1412 qui
deviendra comté puis principauté ( en 1486).
La Fagne restera donc partie intégrante de la principauté de Chimay
durant tout l’Ancien Régime.
Les maisons se succéderont : maison de
Croÿ, puis maison de Croÿ Aremberg (qui laissera un mesurage de la Fagne en
1622) et enfin la maison d’Alsace-Henin-Liétard de Boussu qui la détiendra
jusqu’en 1804. Interviendra ensuite la
Révolution française qui détachera la Fagne de la Terre de Chimay.
Charles-Alexandre de Henin d’Alsace aura été le
dernier Comte de Beaumont, il sera arrêté puis exécuté dans la foulée
révolutionnaire, son frère qui parvient à obtenir restitution des terres
confisquées meurt à son tour sans descendance.
La déshérence de la propriété foncière de Chimay prendra fin en 1804 à la promulgation du Code Civil
français, qui la verra échoir à Maurice-Gabriel de Riquet, neveu du dernier
Comte de Beaumont selon acte de succession établi à Paris en 1805.
Au décès de ce dernier, la Fagne échoira à sa
fille ainée, Elisabeth, marquise de Pange qui décèdera à son tour en 1844
laissant une indivision qu’il conviendra de liquider. Cela se fera par une vente publique sur
licitation réalisée par le Notaire Boullenger de Mons le 09 mai 1953. La Fagne (lot
n°1 sur 8 de la vente) sera adjugée pour la somme de 1.990.000 francs-or,
quittant définitivement l’actif des familles seigneuriales et le foncier
chimacien.
Description de la Fagne de Chimay au cahier des
charges de la vente du 09 mai 1853
« Ville de Chimay. Une forêt nommée la Fagne d’une contenance de
1296 ha, 91 a, 10 ca environ (section A, numéro 8,37,38 et 39 du plan cadastral
de Chimay), tenant du Nord aux pâtures de la Fagnette, au bois communal de
Montbliard, aux prés des forges de Montbliard, Rance et Ostenne et au bois
Champion ; Est, au bois de la Rance (sic), à l’étang du fourneau et au
bois communal de Chimay ; Sud, au bois communal de Salles et aux terres de
Desiviers ; Ouest, au bois St-Pierre et au bois communal d’Eppe. Cette forêt est assujettie au droit de
pâturage en nombre illimité des communes de Chimay, Salles et Bailièvres. Elle n’est pas louée. »
Elle aura donc été adjugée à un
« consortium » de l’époque, la « Société
Civile des acquéreurs de la Fagne » constituée la veille (le 08 mai 1853) à cette fin (bien
que prévue à l’origine pour durer 9 ans au maximum) regroupant deux
factions : l’une liégeoise (constituant l’ancrage de la Banque liégeoise
abouchée avec la Banque de Belgique par le sieur Demonceau, le sieur
Richard-Lamarche étant l’autre partie
liégeoise), la seconde montoise. L’objet
de cette association était de se porter acquéreuse de la forêt de la Fagne dans
un premier temps puis d’en assurer la revente ; de la superficie d’abord,
du fond ensuite.
De 1853 à 1855 auront bien lieu diverses ventes
de futaies et de taillis reçues par devant le Notaire de Sivry selon un plan
d’exploitation en 20 ans qui aurait été établi par l’administration forestière
du marquis de Pange, simplement accéléré et intensifié par les gérants de la
société acquéreuse.
La coupe 1856 de 106 hectares n’aura cependant jamais
lieu.
Très vite des dissensions sont apparues entre
le groupe des Liégeois et celui des Montois.
Ces derniers voulant exploiter au plus vite la futaie (> 1 m de
circonférence) pour rentrer dans leur mise de fonds alors que les Liégeois,
moyennant quelques accords financiers accessoires (paiement d’une soulte) préférant
rester propriétaires du fond, de la réserve et du taillis. Il y aura donc partage le 1 octobre 1855
devant le notaire Biard à Liège. De fait,
Demonceau et Lamarche resteront les propriétaires indivis de la Fagne. Le premier mourra peu de temps après laissant
de nombreux héritiers.
A nouveau une sortie d’indivision doit être
pratiquée, elle se fera par le biais d’une nouvelle vente sur licitation
réalisée le 31 décembre 1860 qui portera la valeur du bien à 780.000 francs (en
lieu et place de 514.500 estimés lors du partage de 1855). Lamarche restant
propriétaire de la moitié du fonds, l’autre revenant aux 12 héritiers de
Demonceau.
Le jour même de la sortie d’indivision est
créée à Saint Remy lez Chimay, la « Société
Civile pour l’exploitation agricole de la Fagne ». Son objet
social : l’exploitation forestière et agricole, le défrichement, la
division en exploitations et la revente en gros ou au détail des bois de la
Fagne sur Chimay. Elle regroupe outre
les successeurs Demonceau et Lamarche (groupe des Liégeois), les 5 formant le
groupe des Montois de la société acquéreuse.
Cette entreprise de défrichement est une
expression régionale d’une conception nationale de l’époque face à l’explosion
démographique qui touche la Belgique, nécessitant de l’espace pour pouvoir
produire de quoi nourrir ce surcroît de population (10% de terres forestières ont été perdus au
profit de l’agriculture entre 1846 en 1866).
Pour la constitution de son fond de roulement,
la société – outre ses 780.000 francs-or souscrits en actions - a recours à l’emprunt, hypothécaire comme il
se doit. Pour la première fois, l’acte
constitutif précise que les bois et forêts gagés ne subissent l’exercice
d’aucun droit coutumier (il n’est pas fait mention d’abrogation). Felix Jennart, du groupe des Montois en
deviendra le gérant unique, contrôlé par les commissaires aux comptes Lamarche
et Delforge. La durée de vie de la
Société est prévue pour 9 ans à dater du 1 janvier 1861.
Les premiers acquéreurs seront des voisins de
la Fagne désireux d’ accroître leurs possessions en périphérie mais aussi des
souscripteurs des nouvelles actions émises par la société en 1862. La première vente des parcelles nouvellement
défrichées (et bâtie), sera celle de la « grosse cinse » en 1864 d’une
contenance de plus de 157 ha, vendue avec la garantie « qu’il n’existe
aucune servitude d’affouage ou de pacage à charge du bien »….Suivra la
« cinse du Baron », la « cinse Rasquin », etc, acquisitions
réalisées par des créanciers hypothécaires de la société.
En 1865 et 1866 deux adjudications publiques
« du droit d’essartage pour prendre une récolte » auront lieu. 300 lots seront concédés au total ; peu
prisés par la main d’œuvre locale (surtout des gens d’Olloy, Nismes,
Petigny). Le paiement de l’adjudication
se faisant l’année suivante avant la récolte (qu’elle soit bonne ou
mauvaise)…La mise en culture du sol rapportait alors à la société, alors que
l’essartage ne lui avait rien coûté.
En 1969, trois fermes de plus de 100 ha auront
été vendues (± 1/3 de la superficie), l’essartage ayant eu lieu sauf aux
endroits les moins accessibles (certains seront d’ailleurs déjà reboisés en pins,
mélèzes ou épicéas). Le 31 mai se tiendra à Bruxelles une Assemblée générale
extraordinaire qui décidera de la mise en liquidation de la société. Quelques parcelles seront encore mises en
vente par la suite soit en juillet 1969 à des filles d’un actionnaire de la
société en liquidation. Les terrains
restant seront partagés le 15 mars 1870, les actes tenus par le notaire
Heetveld étant des « actes de cession à titre de prélibation sur le
partage social. »
Ayant évité la mise en faillite, la société
n’aura pas vraiment réussi la mise en exploitation agricole de la Fagne. Les reboisements s’ensuivront, des tentatives
de remembrement partiel auront lieu.
D’aucuns auront cependant assurément fait des placements intéressants et
n’auront pas tout perdu…loin de là.