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dimanche, octobre 07, 2012

La Fagne de Chimay et son histoire


La région naturelle de la Fagne est caractérisée par des affleurements schisto-psammitiques émanant d’assises du Famennien et du Frasnien.

La Fagne de Chimay est implantée à la limite nord-ouest du Domaine médio-européen, dans le district mosan pour la carte des territoires phytogéographiques de Belgique.
Pour d’aucuns (GEHU et GAHURANYI), l’absence d’élément médio-européen par contre se justifie par la nature des sols acides et très pauvres en calcium qui favorise la pénétration d’éléments atlantiques.
Pour d’autres (DELVAUX et GALOUX), il s’agit du secteur de la Fagne atlantique.  Considérant que les parties les plus occidentales de la Fagne, de la Calestienne et de l’Ardenne font partie du Domaine atlantique.

L’étymologie de l’appellation « Fagne » est pour le moins sujette à controverses.

Le document le plus ancien citant son nom, « Fania » est l’acte de donation de Dagobert à Saint Landelin en 640 pour fonder l’abbaye de Wallers.

Du XIV au XVIII ième siècle, elle est désignée par le mot «Faigne ».  La plupart y voient encore un mot dérivant du Fagus latin ou de fagina qui désigne la faîne.  De fait, les Romains qui envahirent notre pays par l’Ouest (venant de France) se trouvèrent confronté à des forêts impénétrables  qu’ils baptisèrent « Silva Carbonaria » en référence aux pratiques des habitants qui y fabriquaient intensivement le charbon de bois.  Et comme l’essence dominante était le Hêtre…Largement déboisée pour couvrir ce type d’activité, l’imposant massif forestier rélictuel aurait été dénommé « Silva fania ».  Mais tous les étymologistes ne sont pas d’accord sur cette racine, loin s’en faut…Pour d’autre, le mot viendrait de « fangio, fanga, fangus » qui désignent un sol humide, marécageux. GALOUX en 1937 accrédite cette théorie comme la plus admissible en raison de l’écologie de ce massif forestier, couvert de marais et de petites rivières encaissées.  On ne peut cependant comparer sa situation à celle rencontrée dans les Hautes Fagnes, correspondant assurément mieux encore à la définition des racines latines.

Les forêts du Sud du Hainaut sont restées relativement à l’écart des zones d’implantation denses de l’époque romaine, bien que des industries du bois et du fer semblent devoir être associées avec la région depuis cette époque (forge à Virelles notamment).
A l’époque franque, la Fagne reste encore une vaste région assez sauvage à l’écart des « villae » les plus proches : Salles, Bailièvres, Imbrechies, Monceau, Robechies, Seloignes,….

Les dynasties franques, mérovingiennes et carolingiennes reprirent le système déjà mis en place par le Bas-Empire, à savoir la mise en réserves seigneuriales des Forêts pour leur permettre d’assouvir leurs passions pour la chasse.  Petit à petit, elles furent grevées de droits d’usage au bénéfice des manants jusqu’à ce que, devant le recul du gibier face à la pression « permanente » du petit peuple en forêt, soit prise une réglementation sévère dont l’afforestatio, acte qui excluait tout usage dans les cantons mis en défens.

Le Moyen-Age vit le développement de Chimay, devenue centre agricole et métallurgique important, qui obtient en 1247 de Marguerite de Hainaut sa charte de liberté, avec en guise d’aisements, des bois dans la Fagne.  Le développement de la métallurgique et de son combustible : le charbon de bois impliqua directement une surexploitation forestière à des fins commerciales et indirectement des abus d’usage commun par une population excessive.

La vacance de certaines terres suite à la destruction des Abbayes propriétaires, a entraîné leur annexion par d’autres propriétaires de la région comme par exemple le Chapitre de Sainte Monégonde dès le XI siècle.  Vers 1336, la forêt de la Fagne est recensée pour une contenance de 1.880 muids.

Puis, de plus en plus incapables de faire valoir leurs domaines – incluant forêts et terres – par la main d’œuvre servile, les seigneurs commencèrent à pratiquer l’acensement : la concession perpétuelle de certaines terres incultes contre un loyer proportionnel à la récolte.  La Fagne fut relativement épargnée vis-à-vis de ce mouvement.  Même si dès 1400, le seigneur de Chimay de l’époque, face à la grogne du peuple, dut concéder de nombreux aisements complémentaires sous forme d’importantes portions de forêts.  La question s’est posée de savoir s’il s’agissait de concession en propriété ou en simple jouissance et ce jusqu’au XIXième siècle.

Le rachat des terres par Jean de Croy au Comte de Hainaut coïncide avec un nouvel essor de la métallurgie dans la région chimacienne.  L’installation de forges, d’étangs réservoirs et de la population nécessaire à les faire tourner, amena un nécessaire défrichement des terres pour les alimenter.

S’ensuivirent des guerres (fin du XVI) entrecoupées de périodes de maladies (peste) qui amenèrent cycliquement des régressions de population et partant de leurs activités notamment métallurgiques.
La reprise ne se fit sentir qu’au XVII, alors que la principauté compta  jusqu’à 16 fourneaux  et 22 forges sans compter les tanneries.  La quantité de bois nécessaire pour alimenter cette industrie s’avérait déjà exceptionnelles au point que de nouveaux litiges naquirent entre le Prince et les manants chargés de l’exploitation.  Plusieurs jugements durent être rendus dont une sentence de la Cour de Mons qui attribuait aux communes de Chimay, Robechies et Salles, 1 982 bonniers pour le tout.
Face à toutes ces vicissitudes les archiducs Albert et Isabelle tentèrent bien de prendre des mesures pour limiter le nombre de forges et même instaurer un service forestier censé réduire la surexploitation industrielle.  De nouvelles épidémies de peste dès 1630 enrayèrent « naturellement » le phénomène.

Les guerres déclenchées par Louis XIV amenèrent une nouvelle ponction des forêts alors même que celui-ci avait décrété en 1687, un raccourcissement de la révolution forestière de 160 à 80 ans et l’instauration du quart en réserve pour laisser vieillir la futaie.  A l’époque la consommation de bois reste importante, un fourneau consommait 20 000 stères par an, une forge : 10 000.

La période autrichienne qui s’en suit n’est pas franchement propice à la reconstitution de ma forêt, même si un règlement pour les bois et les mines de la terre de Chimay est rédigé.  De nombreuses interprétations contradictoires amèneront la Cour Souveraine de Mons à intervenir à de multiples reprises pour finir par consacrer que le mayeur et les échevins de Chimay ont la régie et l’administration des bois communaux.  Une ordonnance de 1754 abaisse de 60 à 30 ans la révolution du taillis, les futaies se transformant petit à petit en taillis sous futaie. La révolution du taillis finira par être abaissée à 16 ans.


La Fagne de Chimay

Reliquat probable de la ‘Fagna Silva’ largement exploitée et essartée à l’époque romaine, elle pourrait être la réserve boisée du seigneur de la ‘villa’ de Salles de l’époque franque…Chasse pratiquée par le seigneur et usages exercés par les manants (combustible, bois d’œuvre, compléments alimentaires pour le bétail) grevaient largement l’espace boisé.

Elle fut ensuite recueillie au XIX ème siècle par le Chapitre de Sainte Monégonde par donation d’un certain comte Erebold pour finir au nombre des possessions de la seigneurie  de Chimay inféodée au comté de Hainaut, ce qui la préservera relativement du morcellement…
En 1412, le domaine est divisé pour raisons successorales, et la Fagne ainsi que les 9 villes du sart de Chimay (‘les neufs villes de Chimay’) passent, après procès, au comte du Hainaut, puis seront rachetés par Jean de Croÿ en 1445 reconstituant la seigneurie de 1412 qui deviendra comté puis principauté ( en 1486).  La Fagne restera donc partie intégrante de la principauté de Chimay durant tout l’Ancien Régime.

Les maisons se succéderont : maison de Croÿ, puis maison de Croÿ Aremberg (qui laissera un mesurage de la Fagne en 1622) et enfin la maison d’Alsace-Henin-Liétard de Boussu qui la détiendra jusqu’en 1804.  Interviendra ensuite la Révolution française qui détachera la Fagne de la Terre de Chimay.

Charles-Alexandre de Henin d’Alsace aura été le dernier Comte de Beaumont, il sera arrêté puis exécuté dans la foulée révolutionnaire, son frère qui parvient à obtenir restitution des terres confisquées meurt à son tour sans descendance.  La déshérence de la propriété foncière de Chimay prendra fin  en 1804 à la promulgation du Code Civil français, qui la verra échoir à Maurice-Gabriel de Riquet, neveu du dernier Comte de Beaumont selon acte de succession établi à Paris en 1805.
Au décès de ce dernier, la Fagne échoira à sa fille ainée, Elisabeth, marquise de Pange qui décèdera à son tour en 1844 laissant une indivision qu’il conviendra de liquider.  Cela se fera par une vente publique sur licitation réalisée par le Notaire Boullenger de Mons le 09 mai 1953.  La Fagne (lot n°1 sur 8 de la vente) sera adjugée pour la somme de 1.990.000 francs-or, quittant définitivement l’actif des familles seigneuriales et le foncier chimacien.

Description de la Fagne de Chimay au cahier des charges de la vente du 09 mai 1853
« Ville de Chimay.  Une forêt nommée la Fagne d’une contenance de 1296 ha, 91 a, 10 ca environ (section A, numéro 8,37,38 et 39 du plan cadastral de Chimay), tenant du Nord aux pâtures de la Fagnette, au bois communal de Montbliard, aux prés des forges de Montbliard, Rance et Ostenne et au bois Champion ; Est, au bois de la Rance (sic), à l’étang du fourneau et au bois communal de Chimay ; Sud, au bois communal de Salles et aux terres de Desiviers ; Ouest, au bois St-Pierre et au bois communal d’Eppe.  Cette forêt est assujettie au droit de pâturage en nombre illimité des communes de Chimay, Salles et Bailièvres.  Elle n’est pas louée. »

Elle aura donc été adjugée à un « consortium » de l’époque, la « Société Civile des acquéreurs de la Fagne » constituée  la veille (le 08 mai 1853) à cette fin (bien que prévue à l’origine pour durer 9 ans au maximum) regroupant deux factions : l’une liégeoise (constituant l’ancrage de la Banque liégeoise abouchée avec la Banque de Belgique par le sieur Demonceau, le sieur Richard-Lamarche étant  l’autre partie liégeoise), la seconde montoise.  L’objet de cette association était de se porter acquéreuse de la forêt de la Fagne dans un premier temps puis d’en assurer la revente ; de la superficie d’abord, du fond ensuite.

De 1853 à 1855 auront bien lieu diverses ventes de futaies et de taillis reçues par devant le Notaire de Sivry selon un plan d’exploitation en 20 ans qui aurait été établi par l’administration forestière du marquis de Pange, simplement accéléré et intensifié par les gérants de la société acquéreuse.
La coupe 1856 de 106 hectares n’aura cependant jamais lieu.

Très vite des dissensions sont apparues entre le groupe des Liégeois et celui des Montois.  Ces derniers voulant exploiter au plus vite la futaie (> 1 m de circonférence) pour rentrer dans leur mise de fonds alors que les Liégeois, moyennant quelques accords financiers accessoires (paiement d’une soulte) préférant rester propriétaires du fond, de la réserve et du taillis.  Il y aura donc partage le 1 octobre 1855 devant le notaire Biard à Liège.  De fait, Demonceau et Lamarche resteront les propriétaires indivis de la Fagne.  Le premier mourra peu de temps après laissant de nombreux héritiers.

A nouveau une sortie d’indivision doit être pratiquée, elle se fera par le biais d’une nouvelle vente sur licitation réalisée le 31 décembre 1860 qui portera la valeur du bien à 780.000 francs (en lieu et place de 514.500 estimés lors du partage de 1855). Lamarche restant propriétaire de la moitié du fonds, l’autre revenant aux 12 héritiers de Demonceau.
Le jour même de la sortie d’indivision est créée à Saint Remy lez Chimay, la « Société Civile pour l’exploitation agricole de la Fagne ». Son objet social : l’exploitation forestière et agricole, le défrichement, la division en exploitations et la revente en gros ou au détail des bois de la Fagne sur Chimay.  Elle regroupe outre les successeurs Demonceau et Lamarche (groupe des Liégeois), les 5 formant le groupe des Montois de la société acquéreuse.

Cette entreprise de défrichement est une expression régionale d’une conception nationale de l’époque face à l’explosion démographique qui touche la Belgique, nécessitant de l’espace pour pouvoir produire de quoi nourrir ce surcroît de population  (10% de terres forestières ont été perdus au profit de l’agriculture entre 1846 en 1866).

Pour la constitution de son fond de roulement, la société – outre ses 780.000 francs-or souscrits en actions -  a recours à l’emprunt, hypothécaire comme il se doit.  Pour la première fois, l’acte constitutif précise que les bois et forêts gagés ne subissent l’exercice d’aucun droit coutumier (il n’est pas fait mention d’abrogation).  Felix Jennart, du groupe des Montois en deviendra le gérant unique, contrôlé par les commissaires aux comptes Lamarche et Delforge.  La durée de vie de la Société est prévue pour 9 ans à dater du 1 janvier 1861.
Les premiers acquéreurs seront des voisins de la Fagne désireux d’ accroître leurs possessions en périphérie mais aussi des souscripteurs des nouvelles actions émises par la société en 1862.  La première vente des parcelles nouvellement défrichées (et bâtie), sera celle de la « grosse cinse » en 1864 d’une contenance de plus de 157 ha, vendue avec la garantie « qu’il n’existe aucune servitude d’affouage ou de pacage à charge du bien »….Suivra la « cinse du Baron », la « cinse Rasquin », etc, acquisitions réalisées par des créanciers hypothécaires de la société.
En 1865 et 1866 deux adjudications publiques « du droit d’essartage pour prendre une récolte » auront lieu.  300 lots seront concédés au total ; peu prisés par la main d’œuvre locale (surtout des gens d’Olloy, Nismes, Petigny).  Le paiement de l’adjudication se faisant l’année suivante avant la récolte (qu’elle soit bonne ou mauvaise)…La mise en culture du sol rapportait alors à la société, alors que l’essartage ne lui avait rien coûté.


En 1969, trois fermes de plus de 100 ha auront été vendues (± 1/3 de la superficie), l’essartage ayant eu lieu sauf aux endroits les moins accessibles (certains seront d’ailleurs déjà reboisés en pins, mélèzes ou épicéas). Le 31 mai se tiendra à Bruxelles une Assemblée générale extraordinaire qui décidera de la mise en liquidation de la société.  Quelques parcelles seront encore mises en vente par la suite soit en juillet 1969 à des filles d’un actionnaire de la société en liquidation.  Les terrains restant seront partagés le 15 mars 1870, les actes tenus par le notaire Heetveld étant des « actes de cession à titre de prélibation sur le partage social. »

Ayant évité la mise en faillite, la société n’aura pas vraiment réussi la mise en exploitation agricole de la Fagne.  Les reboisements s’ensuivront, des tentatives de remembrement partiel auront lieu.  D’aucuns auront cependant assurément fait des placements intéressants et n’auront pas tout perdu…loin de là.