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lundi, septembre 17, 2012

La notion de "puits de carbone" : mythe ou réalité ?

Voici un article de François Delaunay, membre du CNDB, paru dans "bois-forêt.info".  De quoi se faire une opinion sur la question, étant entendu que toutes les voix ne s'accordent pas sur le registre...autant savoir !

"
  La forêt n’est un puits de carbone que dans la mesure où elle continue à s’accroître. Les nouvelles forêts n’auront qu’un effet limité à un ou deux siècles. Mais le puits de carbone devient perpétuel si le bois prend le relais.
Le carbone est l’atome central de la vie. Sans lui il n’y aurait pas d’organismes vivants sur terre. La matière organique, autrement dit la matière vivante, est toujours construite autour d’atomes de carbone.
Tout le monde sait ainsi que les végétaux par le phénomène de la photosynthèse captent du CO2 dans l’air pour le stocker sous forme d’herbe, de feuilles, de bois, de racines.
On oublie parfois que dans le même temps, les végétaux respirent pour assurer leurs multiples fonctions vitales. Ils rejettent alors du gaz carbonique comme les animaux ou les êtres humains. Ces émissions de CO2 représentent environ la moitié des quantités absorbées de gaz carbonique durant la journée. La différence se retrouve dans la croissance des arbres. Ainsi une tonne de bois sec est constituée de 400 à 500 kg de carbone.
Mais lorsque les arbres meurent, la matière organique se décompose. Les minéraux restent au sol et le gaz carbonique repart dans l’atmosphère.
Certes ce processus n’est pas toujours immédiat. La matière vivante peut mettre parfois plusieurs décennies pour se décomposer totalement après la mort des végétaux. On le constate facilement en forêt avec la litière de feuilles et de bois mort. La matière organique se cache aussi en profondeur en donnant sa couleur noire à la terre.

Les sols regorgent de carbone. Le stock y est souvent plus important que dans la biomasse vivant en surface. Mais par le biais de la faune et de la flore souterraine, bactéries, lombrics, champignons, elle finit toujours par se minéraliser et par relâcher du gaz carbonique. Ce processus de déstockage est peu visible car, dans la nature, la matière organique du sol est continuellement réalimentée par les végétaux qui meurent. Mais il peut être aussi brutal lors de changement d’affectation du sol, lors de mise en culture de forêt ou de prairie par exemple.
Quoi qu’il en soit, sur la durée, les formations végétales naturelles rejettent autant de gaz carbonique qu’elles en absorbent. La forêt ne constitue un puit de carbone que dans la mesure où elle grandit. Ainsi, les " forêts vierges " de la zone tropicale qui offrent avec environ 200 à 400 tonnes de carbone par ha le plus important stock en place, ne sont pas des puits de carbone. Arrivées à un stade de maturité et d’équilibre, les " forêts naturelles " n’accumulent plus de carbone car il pousse autant d’arbres qu’il en meurt.
Pour autant leur incidence dans les mécanicismes d’émissions de carbone n’est pas négligeable. Leur destruction, en particulier lors de processus de défrichage par brûlis, revient à libérer d’un coup plusieurs centaines de tonnes de carbone pour chaque ha détruit. Dans ce cas, elles sont sources de carbone. Au total, le processus de déforestation serait responsable d’à peu près 20 % des émissions artificielles de gaz carbonique chaque année.
Tout ce qui pourra permettre de limiter les processus de déforestation sera directement profitable pour limiter l’effet de serre : conservation mais aussi valorisation, agroforesterie pour permettre aux populations, en tirant profit de la forêt, de les inciter à la protéger.

Reste que si la forêt régresse au Sud, elle s’étend au Nord. Notamment sous l’effet de la reconquête de terres agricoles. Ce phénomène est notamment très marqué dans les forêts tempérées d’Amérique du Nord et d’Europe de l’Ouest (voir notre dossier avec Wanadoo : "
Les forêts du monde").
On estime qu’en France, l’extension forestière liée à des changements d’affectation du sol entraîne un stockage supplémentaire d’environ 16 millions de tonnes chaque année.
Voir le site de la Mies

De plus, la forêt grossit aussi du fait de l’augmentation de la concentration en gaz carbonique de l’atmosphère. Ces forêts qui grandissent et ces forêts qui grossissent présentent un bilan positif de stockage de 2,3 Gt de carbone à l’échelle de la planète (soit près de 30 % des émissions artificielles.
de gaz carbonique). Toutefois les spécialistes ne savent pas encore avec précision qu’elle est la responsabilité respective de ces deux processus. Cette question fait l’objet de nombreux travaux scientifiques dans le cadre des calculs des droits d’émissions prévus par le Protocole de Kyoto. Mais la question est assez accessoire pour le bilan carbone global. (voir article : les calculs d’apothicaire de Kyoto dans notre prochaine édition).
Les puits de carbone forestier : un impact important pour le siècle à venir
Du coup, l’idée est apparue de miser sur ces puits de carbone forestier pour stocker les surplus de gaz carbonique rejetés par l’homme dans l’atmosphère. Une solution qui a l’avantage d’être beaucoup plus indolore que les efforts à fournir pour réduire les émissions provenant de la combustion des énergies fossiles. On comprendra aisément, que les pays, USA notamment, qui refusent de signer le protocole de Kyoto en soient de fervents promoteurs. (Voir article BFI Effet de serre : s "La forêt otage des négociations")
Mais nombreux sont ceux, y compris parmi les scientifiques américains, qui prennent le contre-pied d’une approche qui consisterait à faire croire que la forêt pourrait permettre de faire l’économie d’une réduction drastique de la consommation des énergies fossiles.
À juste titre, ils soulignent que les puits de carbone forestiers ont des limites :
  1. À raison de 3à 5 tonnes de stockage de carbone par an et par ha, il faudrait pour compenser les émissions artificielles de CO2 des surfaces de nouvelles forêts considérables (de l’ordre de 850 millions d’ha à 1 milliard d’ha, soit 15 à 20 fois la surface de la France).
  2. L’effet puits de carbone ne sera important que durant 100 ans et déclinera en suite pour s’annuler au bout de 200 ans environ quand la forêt naturelle aura atteint son point d’équilibre. Au-delà le bilan sera nul. La forêt ne captera plus de carbone supplémentaire. Elle pourrait même alors devenir, dans certaines conditions défavorables, des sources de carbone.
  3. De plus planter n’est pas toujours efficace. Tout dépend de la nature de la formation végétale initiale. Planter de la forêt à la place d’une prairie n’a guère d’intérêt du point de vue de l’augmentation du stockage du carbone. La différence est en effet minime. Déboiser pour replanter est à coup sûr très contre productif. Bref, une politique de boisement ne peut et ne doit se faire qu’avec discernement.
On comprend du coup que la question des puits de carbone alimente de vifs débats qui ne sont pas dénués dénuées d’arrière-pensées politiques dans le cadre des difficiles négociations en cours sur l’application du Protocole de Kyoto…

Pour autant, il ne faudrait pas jeter le bébé avec l’eau du bain et négliger, même s’il est limité dans le temps et insuffisant dans ses capacités, l’apport de la forêt à la lutte contre l’effet de serre. Pour atteindre les objectifs d’une réduction radicale des émissions de gaz carbonique, il y aura besoin de mobiliser toutes les solutions possibles.
En France, par exemple, de 1990 à 2000, les boisements ont contribué à compenser de 55 millions de tonnes en moyenne par an les émissions de gaz carbonique, soit de 15 millions de tonnes les rejets de carbone. Au total l’extension de la forêt aura permis de compenser de 10 % le total des émissions totales de gaz à effet de serre dont le gaz carbonique représente actuellement 70%.
Et même si la totalité de ce puits de carbone n’est pas éligible aux crédits d’émissions prévus par le protocole de Kyoto, notamment parce que c’est un mouvement largement spontané, il ne faut pas perdre de vue qu’il a néanmoins une incidence réelle sur la concentration du gaz carbonique ans l’atmosphère. Et c’est bien cela l’essentiel pour le devenir de la planète.
Reste que l’on peut raisonnablement penser que le mouvement ne peut pas être infini. Il est à prévoir que l’expansion territoriale des forêts françaises déclinera dans les décennies à venir.

Mais la forêt offre d’autres possibilités que son stockage de carbone pour contribuer influer favorablement sur la concentration atmosphérique des gaz à effet de serre. Elle produit aussi du bois qui peut être stocké plus ou moins durablement hors de la forêt. Le bois évite aussi d’utiliser des matériaux beaucoup plus générateurs d’émissions de CO2. Les sous produits forestiers et les déchets bois peuvent aussi produire une énergie à la fois renouvelable et sans effet négatif sur le bilan carbone.
Mais pour cela il faut quitter la vision du modèle de la forêt naturelle et entrer dans le modèle plus complexe de la forêt exploitée. L’enjeu en vaut la peine. En France, l’ensemble de la filière-bois offre un puits de carbone qui vient s’ajouter à celui de l’expansion de la forêt. La capacité potentielle du puits de carbone du bois pourrait représenter au moins la moitié de celui offert actuellement par l’expansion de la forêt. Mais il présente l’immense avantage de ne pas être limité dans le temps. Il s’agit d’un puits de carbone perpétuel que boisforet.info présentera en détail dans sa prochaine édition.

Le carbone et la forêt

Chiffes clé :
Une tonne de bois sec = 400 kg de carbone

Le carbone dans un arbre
  • 78% dans le bois (tronc, branches)
  • 6% dans les feuilles
  • 16% dans les racines
Stock moyen de carbone par ha de formation végétale en France
  • Forêt = 138 tonnes/hectare
  • Prairie = 65 tonnes/hectare
  • Terre cultivable = 43 tonnes/hectare  
  • ..."